Kevin Mayer
: «Il y a trois jours, je me chiais clairement dessus»
Le
19/08/2016 à 05:32:00
Après sa médaille d'argent en
décathlon, jeudi soir, Kevin Mayer (24 ans) était fier d'avoir tenu parole,
trois jours après avoir affiché ses ambitions, alors même que la pression
l'envahissait.
c’est
complètement différent. Après les trois premières épreuves, je me suis dit
"c’est énorme, il y a tout qui passe". De là, j’ai espéré faire un
gros total. A cette période-là (de sa carrière), c’était le décathlon parfait.
Je n’ai aucun regret. Pour moi, cette médaille d’argent vaut clairement de
l’or. C’est avec plaisir que j’écouterai l’hymne américain, même si on l’a déjà
beaucoup entendu. (Il sourit) Bon, je vais demander à Ashton (Eaton, le
vainqueur) si on ne peut pas changer de piste et mettre La Marseillaise...
Mayer en argent derrière Eaton
Comment avez-vous
vécu l’attente avant le jour J ?
Pendant quatre ans, je n’ai pensé qu’à ce décathlon. Ces trois dernières
semaines, et même avant, il y avait énormément de pression. J’avais du mal à
dormir, je m’imaginais les épreuves, j’en foirais une… Il y a trois jours, je
vous avais dit que j’étais serein, mais je me chiais clairement dessus. C’est
bien d’annoncer, j’ai réussi à assumer, c’est bien pour moi. Maintenant, c’est
fini, j’ai 24 ans, je suis vice-champion olympique, j’ai la sixième meilleure
performance mondiale de tous les temps, je vais faire mon contrôle antidopage
et ensuite, la onzième épreuve va durer assez longtemps je pense… Et après, je
vais me remettre au travail.
«Pendant
deux jours, j'ai clairement donné mon corps à la science»
Avez-vous
envisagé l’or à un moment ?
J’ai cru à la médaille d’or quand Ashton a fait 53 (mètres, au javelot), et que
je me sentais bien. J’étais sur élan réduit pour faire 65 mètres, pour assurer.
Quand j’ai mis plus l’élan, je pensais pouvoir faire mieux, et aller chercher
Ashton, je me suis rendu compte que je n’avais plus de jambes. J’ai clairement
donné mon corps à la science pendant deux jours, ma cheville, mon genou, j’ai
du mal à marcher là. C’est ça la beauté du décathlon, on va à la mort jusqu’au
bout.
Considérez-vous que votre statut a changé ?
Je n’ai pas l’impression, je ne me sens pas plus grand, juste heureux. Je ne
fais pas ça pour la gloire. Ce qui est beau, c’est de faire des performances
pour regarder les gens dans les yeux et se rendre compte qu’on leur a fait
vivre des émotions. Et qu’on n’en a pas chié pour rien.
Que vous êtes-vous dit à la fin avec Ashton ?
(Il plaisante) Il m’a dit "I love you", il a une femme en plus !
(Sérieux) Non, il m’a dit que c’était énorme ce que j’avais fait. Je lui ai dit
que lui aussi, c’était énorme, puisqu’il était devant moi. Que c’était mon
exemple, que je m’en inspirais énormément, et que je n’hésiterai pas à essayer
de le battre la prochaine fois. C’est beau d’avoir un ambassadeur aussi
charismatique, humble, accessible et gentil.
«Un jour, je
tendrai vers le record du monde, pourquoi pas le battre»
Le record du
monde (9045 points, détenu par Eaton) est-il plus que jamais un objectif ?
(Ashton Eaton arrive derrière lui, tout sourire, et lui met la main sur l’épaule)
Mayer : Ils me demandent si je peux battre ton record.
Eaton : Dis oui ! (…) Merci, merci de m’avoir poussé dans mes
retranchements.
Mayer répond à la question des journalistes : Chaque année je vais
travailler, et chaque année je vais progresser. Je ne me fixe pas de limites
sur l’âge, un jour je tendrai vers le record du monde et pourquoi pas le
battre… Pour l’instant honnêtement, ce qui me fait vivre dans l’athlé, c’est
les médailles. Je préfère faire 46 médailles en Championnat du monde ou d’Europe
et ne jamais battre le record…
Que dites-vous ce soir à Christian Plaziat (désormais ancien recordman de
France, avec 8574 points) ?
Christian Plaziat, c’est avec tout le respect que je lui dois que je lui dis
que j’ai explosé son record. (Sourire) Tous ces gens qui ont fait énormément
pour le décathlon, Plaziat, Blondel, Barras, qui ont partagé cette expérience
pour que je l’acquière beaucoup plus rapidement, n’ont jamais été des
adversaires pour moi, toujours des grands frères. Ce record de France, je le
dois aussi à eux.»
Recueilli par Fabien MULOT , à Rio
Kévin Mayer : «Inoubliable»
Le 20/08/2016 à 07:14:00
Au lendemain de sa deuxième place au décathlon des JO, Kévin
Mayer a reçu, dans la nuit de vendredi à samedi, sa médaille d'argent. Un
honneur qu'il a vécu avec émotion. «J'ai la réputation d'être un chialeur et je
ne suis pas passé à côté», a-t-il avoué.
«C’était un vrai
honneur. Pendant les hymnes, même si ce n’était pas la Marseillaise, la musique
a réveillé en moi le sentiment de tout ce que j’avais accompli. J’ai pu
réaliser ce qui se passait. C’est un rêve qui devient réalité. Je suis un
Olympien mais pas seulement, je suis un médaillé. J’ai la réputation d’être un
chialeur et je ne suis pas passé à côté. Je donne tellement dans ce sport, je
mets tellement de tripes sur la piste, que j’ai tous ces souvenirs qui me sont
revenus.»
Les jours d'après (la médaille)
«J’ai dormi huit heures depuis environ cinquante heures. Je
n’ai pas fait la fête, rien, juste les médias et ma famille. Je vais faire une
grosse nuit et on fera la fête demain (samedi) soir. Je reste le même. Faire
des interviews, ce ne sont pas des obligations pénibles. Je suis très content
de partager tout ce que j’ai vécu avec les Français. S’il y a mille
journalistes qui viennent me voir, j’essaierais de dire quelque chose de
différent à chaque fois. On fait du sport, ce ne sont que des émotions.»
Les émotions qu'il a données au public
«Je me suis rendu compte (qu'il avait fait passer des
émotions) quand j’ai vu mes trois frères en pleurs, qui n’arrivaient même plus
à me regarder tellement ils étaient au bout. Si le décathlon est aussi dur, c’est
justement pour ça, pour faire vivre des émotions. Sans le décathlon, ce ne
serait pas la même chose. Les JO, c’est un peu se battre dans l’arène. Dans
notre discipline, on a énormément de respect et d’amitié les uns envers les
autres. Et on va chercher des exploits, des performances. Ce sont des
expériences inoubliables.»
Comment il a supporté des blessures à Rio
«A la longueur, j’ai fait
un saut où je me suis senti trop près et j’ai mis mon bassin derrière. Du coup,
la cheville a pris cher. A partir de là, elle m’a fait très mal et la douleur
au genou est un peu revenue. Mais étant donné que c’était les JO, je n’y ai pas
prêté attention. Quand on ne fait que des meilleures performances de la saison
et des records, il ne faut pas s’attendre à ce que son corps ne réagisse pas.
Dès le premier jour, je me suis dit que ça allait être très dur, j’avais mal de
partout. J’ai réussi à assumer ça, à me transcender et à oublier la douleur
avec le mental. J’ai énormément douté pendant quatre ans. Les JO, c’est tellement
grand, énormissime, on a une chance tous les quatre ans, il ne faut pas la
rater. Pendant ces deux jours, je n’ai pas douté une seule fois, j’ai eu peur
mais je savais que j’allais y arriver.»